Bonjour tout le monde, ce mois-ci on se penche sur la maintenance, la réparation, le soin de nos équipements numériques ↓
Obsolescence
Et si on “terminait” les applications ?
- Vivian Qu, une ingénieure et développeuse d’apps mobile raconte son expérience avec les vérificateurs de l’App Store d’Apple, qui considèrent qu’une application non mise à jour est obsolète, même si celle-ci est pourtant stable, sans bug, téléchargée par le public et très bien notée. La développeuse plaide pour que ces stores aient un concept d’applications “terminées” qui n’aient pas besoin de mises à jour supplémentaires plutôt que de les catégoriser comme dépassées.
- D’ailleurs le développeur de Collapse OS (un OS conçu pour fonctionner sur de vieux microprocesseurs) a décidé que son OS était terminé.
Plus fondamentalement cela pose la question de comment se répartit la charge de la maintenance du numérique, entre les équipes de développement, les plateformes d’intermédiation, les utilisateurs (dans leur pluralité) et une classe dédiée de réparateurs.
Dans Permanently Beta, écrit en 2002, Gina Neff et David Stark discutent de l’effet des process de développement informatique itératifs (et les mises à jour constantes) sur les modes d’organisation des entreprises du numérique.
Il y a quelques jours, d’anciens ingénieurs de Google ou Uber discutaient du cycle “Launch, Promo, Abandon” sur Twitter et Reddit : le lancement d’un produit étant un critère important pour les promotions de carrière, et ayant pour effet que nombre d’ingénieurs ayant participé au lancement quitte les équipes produit pour en rejoindre de nouvelles, laissant à d’autre les tâches de maintenance et d’évolution.
Ceci dans un contexte où Stadia, la plateforme de “cloud gaming” de Google fermera l’année prochaine. Pourra t’on utiliser les manettes Stadia en bluetooth après cela ? Pour le moment non, car Google n’a jamais activé la fonctionnalité, et il faudrait une mise à jour du firmware pour le faire. Mais vu que tout le monde est parti…
Livres & papiers de recherche
- Dans cet article / essai [en], Shannon Mattern invite à mieux étudier les pratiques de maintenance et de soin de nos objets, nos environnements, nos villes et nos relations sociales, là ou l’innovation est trop souvent le paradigme dominant. Elle nous invite à reconnaître la place de tous ces actes de préservation et de conservation, formels et informels tout en prévenant des risques d’une romantisation de ces activités, souvent effectuées par des classes défavorisées. Une approche qui nous suggère de s’interroger sur ce qui, aussi, ne devrait plus être maintenu, que l’on devrait délibérément fermé.
- Dans Le soin des choses, sorti récemment, Jérôme Denis et David Pontille explorent la multitude d’objets, d’activités et de figures qui font la maintenance. Voir cette présentation récente des auteurs.
- En 2020, Lee Vinsel et Andrew L. Russell deux membres de l’équipe des Maintainers, publiaient The innovation delusion dans lequel ils critiquent l’idéologie de la nouveauté permanente, des risques qu’elle induit et du coût qu’elle a justement sur les activités de soin et de maintenance.
- Enfin ce sujet est également traité par Nicolas Nova, récemment interviewé dans le Code a Changé, qui a enquêté sur les boutiques de réparation du coin de la rue. En se montant comme un réseau d’expertise parallèle, ouverts à tous y compris aux populations parfois exclues comme les migrant·es, ces boutiques sont devenues un élément central dans cette économie de la réparation.
Si vous voulez creuser, Nicolas et Anaïs Bloch ont publié Dr. Smartphone, An ethnography of mobile phone repair shops [en] composé d’observations photo, BD et comptes-rendus. Il y a aussi d’autres études sur ces magasins en Corée du Sud, Bangladesh, Philippines, Inde.Disponible en ligne ici - Dans Repair and software [en] Jason Farman nous rappelle la relation tendue entre logiciel et matériel quand il est question de réparation et de maintenance de smartphones.
“Ce n’est pas simplement l’objet physique qui a besoin de réparation ou de maintenance, mais l’objet physique dans sa relation avec la mise à jour perpétuelle du logiciel.”
No Limit
- Des millions de disques durs fonctionnels partent à la broyeuse : datacenters, entreprises, ou encore banques préfèrent insister pour que leurs disques soient détruits pour des questions de sécurité de données, bien qu’il existe des moyens efficaces de les effacer.
- Les datacenters français sont prêts à basculer sur leurs groupes électrogènes pour soulager le réseau électrique, avec plus ou moins de motivation.
- La Fédération mondiale de basketball autorise l’utilisation de sols en verre LED dans les matchs.
- Certaines antennes 4G installées dans des coins reculés en France fonctionnent au fioul.
Régulation
- On célèbre ces jours-ci la réglementation sur les chargeurs uniques, qui avouons le, est une bien maigre victoire… De son côté repair.eu revient sur le brouillon de règlement “Conception de téléphones portables et de tablettes durables” qui contient des avancées mais oublie la dimension logicielle dans les risques d’obsolescence matérielle. Les fabricants pourront garder la main sur les réparateurs indépendants ainsi que les utilisateurs finaux et continueront à limiter la réparation via des subterfuges logiciels en restreignant l’accès aux informations de réparation et aux pièces détachées.Sans compter que le brouillon ne traite pas du problème du part-pairing (un terminal particulier n’accepte que certaines pièces, limitant les possibilités d’intervention des réparateurs indépendants), ni de la disponibilité des pièces détachées, ou encore de la disponibilité d’une documentation technique ouverte.
Actu de l’équipe Limites Numériques
- Léa, de l’équipe, fait des BD pour rendre compte des entretiens qu’elle mène. En voilà une que vous pouvez lire ici. On publiera les autres au fil des mois.
- On était aux rencontres numérique et ruralité à Lalouvesc en Ardèche pour discuter conception située, communs, information locale. Le compte rendu.
- Collectif Bam change de nom et devient Praticable.
- Nous avons invité à la Gaîté Lyrique la designer Lou Vettier pour animer des ateliers de matérialisation du poids du numérique auprès de collégien·nes (dans le cadre d’un programme sur les déchets électroniques) où le poids en octets est converti en poids en ciment, et l’impact eCO2 de différents usages en liquide plus ou moins opaque.
Événements à venir
- Ethics by Design du 16 au 18 novembre.
- Communs numériques et transition écologique le vendredi 25 novembre 2022.
En vrac
- The Repair Shop 2049 [en] est un projet de recherche lancé suite à l’introduction du droit à la réparation en UE et au Royaume-Uni. Le projet enquêtera par le design sur la réparation, les repairs-cafes, et l’écosystème permettant de soutenir ce droit.
- Le top 3 des caractéristiques qui font un appareil réparable pour Ifixit :
- Une documentation et des manuels au top,
- Des pièces détachées,
- Ce qui s’ouvre doit pouvoir se refermer.
- Apple a amélioré l’intérieur de son iphone 14 pour en faciliter la réparation, bénéficiant d’un score de réparabilité de 7, le meilleur score parmi les iphones depuis l’iphone 7. Un bond énorme pour l’entreprise qui n’a pourtant rien dit ni fait aucune annonce.
- Il existe encore un fabricant de disquette dans le monde, et il est loin d’être au chômage [en]. 500 disquettes sont vendues par jour, par exemple à des compagnies où beaucoup d’avions sont encore mis à jour de cette manière. Certaines entreprises parlent même d’avantage en terme de sécurité.
- Commown lance le Frankenphone en réhabilitant le Fairphone 2 datant de 2015.
- Un chouette article de Gauthier Roussilhe pour comprendre les effets et impacts indirects de la numérisation.
- Dans le n°4 du magazine Branch, Taeyoon Choi nous parle de garden.local, une installation artistique permettant de partager des illustrations sur un réseau local. Ce projet fait partie du Distributed Web of Care.
- On attend le “peak oil” depuis bien longtemps. Est ce que la fin de la loi de Moore en serait l’équivalent numérique ? Certains l’attendent espérant que cela ralentira le renouvellement matériel et augmentera l’exigence sur du logiciel performant, la frontière est toutefois fréquemment repoussée ou contournée. Le podcast ‘The Future of Everything’ parle des alternatives au silicium : Beyond Silicon? The New Materials Charting the Future of Microchips.
Anecdotes des lecteurs·rices :
N’hésitez pas à nous envoyer en retour de mail vos anecdotes sur le sujet.
Elie nous raconte
Voici mon casque bluetooth qui avait les mousses qui partaient en lambeau, je les ai rénovées avec un bien plus joli tissu ! D’ailleurs, la connexion jack a cessé de fonctionner un an après l’achat, mais après plus de 5 années d’usage il marche toujours aussi bien en bluetooth !
Alix nous raconte
J’ai acheté un dumb phone au moment ou mon iPhone 5s a cessé de se charger. Je voulais depuis longtemps passer a un outil moins chronophage. J’ai récupéré un appareil photo numérique et un iPod pour la musique, j’imprime des cartes ou j’écris des itinéraires sur mon bras avant de partir mais je me balade souvent avec mon ordinateur pour acheter des billets de train, répondre à des mails. J’ai aussi parfois l’impression de m’isoler de cette manière car je n’ai plus accès aux interactions sociales liées aux fonctions des réseaux sociaux et discussions de groupe.
Merci pour votre lecture et à bientôt !